LE RETOUR AUX SOURCES

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Le samedi, le grand – père le retint. Ils étaient à deux dans la concession et dans une case au toit cônique. Dès leur apparition au seuil de la porte, le grand – père avait ôté son bonnet pour dévoiler sa tête qui ressemblait à une cafféière en fleurs.
– “Dieux de nos ancêtres ô vous nos mères et nos pères qui veillent sur nous, je vous salue, et vous apporte l’attachement de tous vos enfants.” Le grand-père prononça ces mots au seuil de la porte qu’il venait d’ouvrir.
Il faisait sombre à l’intérieur. Le grand – père Tanou déposa son sac dans un coin, alla vers le mur et fit une petite manœuvre. Un trou s’ouvrit. La lumière du jour envahit une bonne partie de la maison qui n’avait qu’une seule chambre. Un foyer occupait le milieu de la salle. Tankoua tira un tabouret en bambous qui chômait dans la pièce, ses fesses furent satisfaites. Tanou sortit et revint chargé de bois mort, et alluma le feu. Pendant que le bois se consumait et les flammes géantes ou naines par moment, offraient un ballet primitif, Tanou montra au petit citadin perdu quatre canaris implantés dans le sol, au pied du mur qui s’offrait du côté droit. Le dernier portait le nom et les dates au contraire des trois autres sans datation. Le grand-père expliqua que c’était l’œuvre de l’Oncle Nana. Deux générations. Ces canaris représentaient les quatre ancêtres qui avaient géré la concession, du fondateur à la quatrième génération. Ȧ l’opposée, quatre autres canaris avec inscriptions murales ornaient le sol. Les compagnes des premiers s’y reposaient. Il se reposerait sous le cinquième canari, une fois le glas sonné. Le vieil homme parlait de la mort avec une désinvolture banale. Il sortit de son sac une bouteille d’huile de palme, des jujubes, deux paquets de sel, quatre cuisses de rat assaisonnées (achetées à Bangou la veille), un paquet de haricots de koki déjà cuits, une boule de pistache, et un bidon plein d’eau.
-“Je sais que vous avez soif. Buvez et bénissez-nous.” Tanou s’octroyait les attributs de prêtre. Il versa de l’eau dans les canaris. Il passa sur les flammes deux feuilles de bananier qu’il avait cueillies dans le champ devant la case des crânes (le nom donné) à cette maison, la plus importante dans toutes les concessions. Il mélangea sur ces deux feuilles superposées, tout ce qu’il avait sorti du sac, à l’exception de l’eau.
_ ‘Voici le repas que vous apporte votre fils Tankoua. Mangez et accordez lui toute votre attention. Qu’il devienne ministre, directeur, chef d’entreprise, notre Blanc. Que l’électricité brille dans cette concession, qu’un château sorte du sol. Par lui et par vous.”
Tankoua voulait lui demander d’arrêter ces pratiques que contrariaent les doctes enseignements reçus de la Révélation. Des pratiques païennes et sataniques. Lui, il avait reçu le Christ. Comment pouvait-il maintenant s’incliner devant les morts? Il voulut claquer la porte et rentrer à la maison mais que diraient les autres? Il avait lu les recommandations du roi des Belges aux missionnaires au Congo Démocratique, les mbombogs Bassong et Njie Bileck Masanik Manguelé, les écrits de Cheikh Anta Diop.Sa fréquentation de l’émission “Carrefour des mystères” lui fit prendre une position sage, conciliante.
Ils sortirent de la maison des crânes. Se tournant vers les quatre directions des points cardinaux, Tanou nourrissait les puissances tutélaires de la concession. Il commença par les grains de jujube, puis vint le tour du sel, et enfin le fameux repas qu’il avait auparavant servi aux aïeux. Ils prononçait toujours les mêmes paroles invocatrices. Tankoua fut pris entre l’invocation et l’évocation. Il ne savait pas de quel côté situer son grand – père. Pendant qu’ils marchaient le prêtre officiant parlait avec le vide comme s’il y avait partout des lares et des loas. Leur course se termina au pied d’un arbre centenaire. L’arbre se trouvait dans un bois. L’entrée avait été nettoyée la veille par l’officiant. Il introduisit le jeune homme auprès des puissances inapparentes qui avaient élu leur domicile derrière cet arbre majestueux dont la tête dominait la petite forêt. Cet arbre jouait son rôle de gardien et de repaire depuis des lustres. À son pied, il y avait un arbre de paix dont les tiges pouvaient mesurer environ deux mètres. Devant l’arbre de paix un canari enfoui dans le sol, rempli d’eau. Tanou offrit des sacrifices aux habitants de ces lieux. Il fit prosterner Tankoua sommé de se défaire de ses chaussures et sa casquette Michael Jackson. Tankoua cueillit une feuille d’ herbe qu’il mixa avec de la patte fraîche faite de la boue et de l’huile du festin des Dieux, il appliqua le tout sur la poitrine de son petit-fils.
_” Garde-toi de te baigner aujourd’hui.” Recommanda le vieil homme. L’homme des Dieux cueillit une feuille de l’arbre dschang, la divisa en deux à partir de la nervure centrale. Il lança les deux parties de la feuille en l’air, les parties tombèrent en sens inverse. Tanou fit un signe positif de sa tête.
Le jour suivant, Tanou fit découvrir la forêt sacrée de Sechia à son élève. Il le mit à genoux devant les pierres brillantes d’huile rouge, ornées des canari incrustés solidement dans le sol, et immuables depuis l’aube des temps. De part et d’autre, des cauris, des jujubes, des traces de nourritures divine, et des pièces de monnaie ancienne (Tanou les appelait: Djaman money). Il posa un petit coq blanc sur la tête de Tankoua, puis invoqua les puissances du village. Le jeune coq déféqua sur son perchoir. Il se débattit pour garder son équilibre. Allait-il s’envoler? Tanou et son candidat attendaient. Le jeune coq était toujours là. Tanou reprit les paroles de l’invocation. Il attendit. Un battement d’ailes, l’oiseau domestique partit de sa tour pour attérir dans le bois. Tanou poussa un ouf. Ils descendirent vers la chute. Sur les ordres et les yeux de Tanou, le jeune homme se baigna dans l’eau. Il fut surpris de voir le corps d’un jeune coq fraîchement déplumé, nageant devant lui.

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